Hommage à Guy Cotten
J’ai appris hier que Guy Cotten était parti en mer, d’un de ces longs voyages dont on ne revient pas. Je suis sûr qu’avant d’embarquer il n’a pas oublié d’enfiler son ciré jaune, estampillé du petit marin qui sillonne la planète de part en part, sur toutes les mers du globe depuis près de cinquante ans. Je connaissais Guy pour l’avoir côtoyé en Ville-Close dans les années soixante dix, quand il avait ouvert une petite échoppe pour vendre en direct ses vêtements de mer et aussi pour avoir une vitrine, vanter sa marque aux nombreux touristes qui passaient par ce point névralgique de Concarneau la belle, en été. Aux parigots quoi, parce que nous, les gars du cru, et pas seulement ceux nés en Ville-Close mais aussi tous les marins du port de pêche et de plaisance, des travailleurs de la mer aux voileux des Glénan, on n’avait pas attendu la tendance hype pour tout ce qui touchait à la mer, non, la mer, nous, on était tombé dedans en étant tout petit. Nous, on avait bronzé et fait les quatre-cents coups sur la plage de la ville dorée, à fumer des P4 au pied des remparts que les plus téméraires d’entre nous (ou les plus fous) escaladaient pour sauter de tout en haut, à marée haute de préférence. Cotten, pour les concarnois, c’est devenu au fil du temps beaucoup plus que le nom de ce gars qui un jour a décidé de poser son sac et trois machines à coudre rue Adigard, entre le Lin et le Quai Carnot, en prise directe avec sa clientèle, les marins-pêcheurs. Cotten, avec le temps, c’est devenu plus qu’une marque, un nom commun. Comme on disait un frigidaire, une mobylette, quand tu partais en mer il y avait toujours un gars pour te demander, avec son accent concarnois inimitable à découper au Pradel : « t’as pas oublié ton Cotten ? » Je pense que ça, pour Guy, c’était, en somme, sa plus belle récompense.
On a tous porté du Cotten. Tous, gast ! Sans exception. Chaque fois qu’il pleut (et en Bretagne, il pleut de temps en temps), je sais que je peux compter sur elle, ma veste 40ème rugissants, indémodable, inusable, qui revendique cranement son slogan : « l’abri du marin ». Finalement, je me dis que Guy vient d’entrer dans la légende. Je garderai de lui ce beau regard lumineux et son sourire qui ne le quittait presque jamais, sans doute lié à un ineffable optimisme ou l’inverse, une soif d’avancer, de conquérir le monde de la mer. Les gens qui l’ont côtoyé vous le diront. Guy Cotten était fidèle en amitié et surtout, il savait d’où il venait. Il y a deux jours, Guy a lâché le bout, comme on dit ici. Tu es parti faire ton reuz ailleurs, pour ce voyage en solitaire dont on ne revient pas. Tu es sorti du port de plaisance de Concarneau, le petit vent froid et sec a mouillé tes yeux bleu azur. Tu as vu s’éloigner la Ville-Close, le passage Lanriec, le bois du Porzou et le fort du Cabellou. Avec les Glénan face à toi, tu as croisé un chalutier qui revenait de pêche. Les marins t’ont reconnu et salué. Le patron est sorti de la cabine et t’a lancé dans un éclat de rire : « route pêche Guy ! T’as pas oublié ton Cotten gast ! » Devant toi, la mer est belle. Elle te doit bien ça.
Hervé LE GALL
photographe – né en Ville Close.