Seiko 6139. Un chronographe d’une redoutable précision.
Je l’avais complètement oubliée. C’est en vidant des meubles que je l’ai retrouvée, sous un tas de vieux papiers, dans le fond d’un tiroir. Quand je l’ai vue, c’est fou, mais plein de souvenirs sont remontés à la surface. Cette montre, c’était le cadeau que ma mère m’avait fait pour mon anniversaire, mes dix neuf ans, en 1976. Il y a presque quarante ans. Une montre Seiko 6139-7060, un chronographe à mouvement automatique avec une classe folle, une montre à la fois simple, discrète, élégante et performante. Je pense que je l’avais repérée dans la vitrine du bijoutier et que j’avais dû faire passer le message discrètement à ma chère mère. Il faut dire qu’entre les montres et moi, ça a toujours été une histoire assez chaotique. Autrefois, j’avais une fâcheuse tendance à être tête en l’air et j’ai perdu, égaré, oublié de nombreuses montres, mais avec une constante, puisqu’il s’agissait toujours de montres Seiko. Finalement, cette montre est une survivante, puisqu’elle aura passé une bonne partie de son existence à dormir dans le fond d’un tiroir, sous une pile de vieux papiers. Car c’est ainsi. J’aime les montres mais j’en porte très peu, je suis un paradoxe vivant de l’amateur de montres. Peut-être avais-je gardé le traumatisme de toutes mes montres perdues, pour planquer ma Seiko 6139 dans le fond de ce tiroir ? Un tiroir qui n’a jamais été vidé, en près de quarante ans, jusqu’à ce jour de début 2015.
Elle était vraiment en sale état, la montre Seiko de ma jeunesse. Le verre était salement abimé et tenait par la vertu d’un morceau de ruban adhésif. Je l’ai prise en main et machinalement, je l’ai secouée pour activer le mécanisme, sans trop y croire. J’ai déclenché le chrono et il a démarré. Incroyable, après presque quarante ans de sommeil, ma montre Seiko 6139 reprenait vie comme si elle ne s’était jamais arrêtée. Je l’ai mise à l’heure exacte, comme ça, juste pour voir. Quelques heures plus tard, je constatais que non seulement la montre ne s’était pas arrêtée, mais qu’en plus elle conservait, comme par le passé, une redoutable précision. J’étais épaté. J’ai conservé ma montre dans ma poche pendant plusieurs jours, comparant son timing avec ma montre habituelle, une Seiko 7T62-OCV0 achetée en 2006 chez un vendeur online de Singapour. À l’époque, j’avais insisté auprès du vendeur pour acheter une montre automatique et celui-ci m’avait affirmé que le chronographe Seiko sur lequel j’avais jeté mon dévolu était bien une montre automatique. Elle l’était, effectivement, automatique mais le vendeur avait omis de préciser que cet automatisme nécessitait une pile ! Bref. La Seiko 6139 automatique tenait parfaitement, malgré son âge, la comparaison et la distance avec une montre trente ans plus jeune qu’elle. C’était décidé. J’allais la faire réviser et réparer.
J’ai envoyé la belle chez mon horloger, avec la ferme intention de retrouver celle que j’avais connue il y après de quatre décennies de cela. L’expert avait jaugé l’état de décrépitude, avisant l’adhésif qui maintenait le verre tant bien que mal. Rendez-vous était pris pour la fin de la semaine, j’allais savoir à quel sauce j’allais être mangé et le prix à payer pour retrouver un peu d’émotion de ma jeunesse. J’appréhendais l’annonce de la douloureuse et je ne fus pas déçu. Mon horloger m’annonçait un devis de réparation stratosphérique, tellement élevé que j’en eus la voix coupée pendant un moment. Je devais donc renoncer, mettre ma Seiko 6139 dans une jolie boîte en bois et l’oublier pour toujours. Mais il était dit que l’histoire n’était pas écrite. J’ai fait quelques recherches sur internet et je me suis souvenu d’un forum de passionnés d’horlogerie et de montres sur lequel il m’arrivait de trouver des informations sur les montres en général et Seiko en particulier. Le forum à montres, connu aussi sous ses initiales FAM, était un repère de passionnés de montres, de toutes les montres. S’il y avait un endroit où je pouvais trouver des ressources, c’était bien là. C’est comme ça qu’un jour, j’ai repéré Peter. Une rencontre qui allait s’avérer décisive.
Peter est allemand, il vit sa retraite paisible en France et c’est un fervent passionné d’horlogerie et de montres. C’est aussi un collectionneur qui a une prédilection pour les montres japonaises et sur le sujet Seiko, il est intarissable. S’il existait une personne capable de me donner un avis autorisé sur ma Seiko 6139, c’était Peter. Nous avons échangé sur le sujet par email et par téléphone et la décision fut rapidement prise de lui expédier la belle afin qu’il l’inspecte de son œil avisé et expert. Je ne le savais pas encore mais ma Seiko 6139 était déjà sur le chemin de sa renaissance. Entre les mains de Peter, elle fut entièrement démontée, pièce par pièce, nettoyée, délicatement huilée, les quelques rares pièces fatiguées étant changées par des pièces d’origine. Car Peter, non content d’être un collectionneur avisé, est aussi un archiviste, un conservateur de pièces détachées d’origine Seiko. Je recevais régulièrement des emails accompagnés de photos de ma belle sur le billard, les ressorts et les engrenages à l’air, sans trop y comprendre grand chose d’ailleurs, mais je savais que nous allions vers les beaux jours… Finalement, après un changement de verre, un léger polissage du boîtier pour lui rendre un peu de sa brillance d’antan et quelques opérations sur les aiguilles et le cadran, je recevais, émerveillé et un peu jaloux, une photo de ma belle au poignet de Peter. Séquence émotion, mais ça n’était rien à côté des retrouvailles.
J’ai reçu ma montre en colissimo recommandé un beau matin, elle reposait dans sa boîte de transport blindée et Peter l’avait logée dans une enveloppe à bulles. Dans un petit sachet bleu, Peter a joint les pièces changées, un souci du détail bien germanique. Mes premières pensées sont allées à ma chère mère dont je ne doute pas un seul instant qu’elle aurait été très fière de retrouver cette montre à mon poignet. J’ai mis ma Seiko 6139 à l’heure, réglé le jour (en français s’il vous plait) et la date, puis la belle a rejoint mon poignet avec sans doute une bonne dose de fierté. La trotteuse de couleur orange cavale autour du cadran en égrénant le temps qui passe avec sa redoutable exactitude. Chaque mouvement de mon poignet remonte automatiquement la montre, grâce à ce subtil système de balancier. J’ai retrouvé ma montre et avec elle sans doute un peu de ma jeunesse, de cette douce insouciance des années soixante dix. Je revois aussi le sourire de ma mère et je l’entends me sermonner, comme le jour où elle m’a offert cette magnifique montre : « Et celle-là, Hervé, promets-moi que tu ne la perdras jamais ! » Je te l’avais promis, maman. Une promesse est une promesse.
• voir le forum à montres (FAM), pour les passionnés de montres
• voir le site de Peter Lanczak à qui je dois le renaissance de ma Seiko 6139