Même Pradel a produit des couteaux ordinaires.
Je me suis souvent interrogé sur les raisons qui ont poussé à la disparition de marques aussi prestigieuses que Pradel-Brossard. J’ai beaucoup lu sur le sujet, j’ai essayé de comprendre comment une industrie florissante qui animait toute une région de France avait pu disparaître aussi brutalement, en l’espace de deux décennies on avait tiré un trait, ou quasiment, sur la coutellerie thiernoise. Toutes les marques qui avaient fait sa réputation, toutes ou presque, avaient disparu, rayées des cadres, effacées du livre. Bien sûr, on avait évoqué la concurrence asiatique, qui produit des couteaux estampillés Pradel à tour de bras pour trois francs six sous. J’avais lu que le gérant de feu Pradel-Brossard avait lâché l’affaire, baissé les bras, parce ce que, de son propre aveu, il ne voulait pas délocaliser, céder devant la concurrence asiatique, l’importation de sa production médiocre et on le comprend. Des couteaux Pradel, véritable Pradel, j’en ai quelques-uns, fabriqués pour la plupart au XIXè et XXè siècle, je peux témoigner du niveau qualitatif et du savoir-faire de cette industrie. Oui mais…
Cette industrie a aussi produit des couteaux de piètre qualité, même Pradel-Brossard. Pour preuve, j’ai reçu il y a quelques jours ce couteau deux-pièces (lame et poinçon) estampillé Véritable Pradel. Dieu merci, je ne l’ai pas payé cher (8€) et franchement il ne vaut guère plus, bien qu’il soit estampillé de l’ancre de marine et de la marque Véritable Pradel et que son origine ne fasse aucun doute. Compte tenu de son état, il s’agit d’un couteau neuf issu de vieux stock. La lame en acier carbone est neuve et porte quelques piqures dûes au temps. L’intérieur était un peu rouillé, j’ai nettoyé l’ensemble, correctement, avec la fameuse pâte à polir Perceval, que je vous conseille vivement et dont je vous parlerai un de ces jours. La construction du couteau lui-même est très décevante, surprenante même pour un couteau sorti des ateliers Pradel-Brossard. Les cotes sont en plastique, le retrait permettant le rangement du poinçon semble avoir été bâclé, taillé à la hussarde dans la plaquette, l’assemblage n’a pas été fait avec soin, il y a un léger jeu dans la lame, quant au poinçon je ne m’aviserais pas de tenter de l’utiliser. L’ensemble est invendable, ce qui explique sans doute qu’il soit arrivé en état neuf jusqu’à moi, au XXIè siècle. Mais c’est un véritable Pradel, et rien que pour ça il mérite, à mes yeux, le respect.
J’avais déjà par le passé croisé la route de couteaux très ordinaires, frappés de la marque Véritable Pradel. J’ai, par exemple, dans ma collection un petit canif en plastique jaune très laid que je vous montrerai un jour. Plus récemment, je vous ai parlé d’un couteau Barge 11 portant l’ancre de marine de la maison Pradel, là aussi il s’agit d’une production de moindre qualité visant un marché à l’export. Mais du point de vue qualitatif, avec ce couteau de marine aux plaquettes en toc, à la platine ajustée de manière très approximative, avec du jeu dans la lame et le poinçon, on touche le fond. Ce couteau fait injure à la tradition de qualité du véritable Pradel. Je n’ose pas imaginer le désarroi de feu Etienne Pradel, s’il avait vu ce genre de réalisation portant sa marque. De son temps, chaque couteau qui sortait de l’usine de la rue de Chateldon se devait d’être irréprochable, pour mériter qu’on y appose une ancre de marine. La mention Véritable Pradel, à l’époque, se méritait.