Quel étrange couteau que celui reçu ce matin. D’abord, il n’a rien d’un couteau de marin, même si sa lame à pointe centrée est identique à celle qui équipe habituellement les couteaux Pradel. Le manche, quant à lui, est en bois, d’un matériau que je n’ai pas réussi à identifier, peut-être s’agit-il de chataîgnier ? La forme rappelle vaguement la ligne ondulante des couteaux paysans, comme l’Aurillac. Plus étrange encore est le marquage, 11 BARGE surmonté d’une ancre de marine. C’est ce détail qui a attiré mon attention, car je n’avais jamais vu jusqu’à ce jour un couteau associant la marque Barge à celle de la maison Pradel. Un petit retour historique s’impose.
Georges Pradel, le fils de Joseph Pradel qui dirige l’entreprise familiale au début du vingtième siècle, revient à la vie civile en 1919 après la première guerre mondiale. Georges seconde d’abord son père, puis prend sa suite. Le jeune entrepreneur décide de déménager du 27, rue de Barante, à Thiers, pour faire construire une nouvelle usine moderne au 13, rue de Chateldon. Cette construction sera achevée en 1927. L’année suivante, Georges s’associe avec son frère, Charles. Ils créent ensemble les Établissements G. & Ch. Pradel. C’est à cette époque que les frères Pradel rachètent l’affaire de Marc Barge et la marque 11 BARGE. La raison sociale de l’entreprise devient alors Établissements Pradel-Chomette et Barge-Collange (du nom de leur grand-père). Le rachat de Barge n’était pas le fruit du hasard. Les frères Pradel, en hommes d’affaires avisés, savaient que Barge était très introduit sur le marché espagnol et par voie de conséquence sur l’Amérique du sud, principal client importateur de la coutellerie française. Dans son livre passionnant consacré à l’histoire du couteau Pradel, Joseph Pradel raconte le voyage de 4000 kilomètres réalisé par son illustre aîné à travers l’Espagne. Il raconte aussi comment la France, décidant d’encourager la production de vin d’Algérie, suspendit les importations de vin espagnol. L’Espagne, en représailles, répliqua en fermant ses frontières à la coutellerie française.
Mon couteau Barge 11, qui est le survivant d’une grande époque, présente deux caractéristiques qui le rendent, je le crois, relativement unique. D’abord ce marquage, associant la marque 11 BARGE à l’historique ancre de marine, propriété de la société Pradel-Chomette & Barge-Collange. Ensuite – et surtout ! – son état exceptionnel de conservation. On a affaire ici à un vieux couteau neuf de stock qui n’a jamais été utilisé. Pour preuve, la lame est intacte, elle ne porte aucune trace d’usure ou de rayure. Le couteau lui-même est léger (49 grammes) si on le compare à un véritable Pradel traditionnel, la lame mesure 80mm, le couteau ouvert environ 185mm. Quatre mitres en métal fixent le manche en bois. La prise en main donne l’impression d’un couteau de qualité tout-venant, une impression accrue par le poids relativement léger du du couteau. Seule l’ancre de marine est là pour rappeler que c’est un Pradel, mais ce rappel demeure somme toute très discret. Ce couteau de qualité inférieure destiné à l’exportation vers l’Espagne et l’Amérique du sud devait être commercialisé à un prix concurrentiel. Pour moi, collectionneur de couteaux Pradel, c’est une rareté, un must, le souvenir d’une époque.
• ce couteau est disponible à la vente sur notre boutique en ligne
• illustration : le couteau BARGE 11, estampillé de l’ancre Pradel-Chomette (crédit photo Hervé LE GALL).
Vous possédez ce type de couteau ? Vous en savez plus sur la datation, son époque de commercialisation ? Votre avis m’intéresse ! Vous pouvez laisser un commentaire ou me contacter en utilisant le formulaire en ligne.